Dans cet article, j’exprime mon constat concernant les pratiques actuelles dans les milieux de la prévention en santé physique et mentale et m’interroge sur le manque d’évolution dans les approches de prévention, notamment le manque d’investissement dans la création de contenu sur les réseaux sociaux.
Il y a quelques jours, alors que je parcourais le fil d’actualité de l’application TikTok, je suis tombé sur le #DenimDay et les challenges qui ont suivi et ai été ému par la puissance du contenu qui était diffusé.
La prévention santé par les pairs sur les réseaux sociaux
Le « Denim Day » est né le 29 avril 1998 en Italie suite à une décision de justice de la Cour de cassation de Potenza. Cette dernière avait décidé d’annuler une condamnation pour viol car la victime portait un jean moulant. La Cour avait en effet argumenté que le rapport sexuel devait être consentant en estimant que le jean moulant n’aurait pas pu être retiré sans l’accord de la victime.
Les utilisatrices de TikTok ayant subi des abus sexuels se sont donc emparés de cette journée pour la commémorer à leur manière. Sous les hashtags #DenimDay, #DidISayYes ou encore #NoMeansNo, de nombreuses filles ont partagé sur la plateforme des témoignages de leur viol.
Pour venir en réponse à la question trop souvent posée (notamment lors de dépôts de plainte à la police) « comment étais-tu habillée? » avec le sous-entendu que « la tenue vestimentaire justifie le viol », une grande partie d’entre-elles se sont affichées dans la tenue qu’elles portaient le jour de leur agression. On y voit des jeunes femmes habillées en training, en jeans, posant la question: « est-ce que ma tenue justifie un viol? ».
Une reprise de pouvoir
Les « victimes » se redéfinissent alors en « survivantes » et reprennent leur pouvoir d’agir en diffusant leur message auprès de millions de gens. Elles suscitent également l’empathie et l’échange, permettant à d’autres personnes de sortir de leur silence et se redéfinir selon leurs propres termes.
A mes yeux: une campagne de prévention géniale, provoquant un réel impact sociétal, comme l’a fait il y a quelques année le mouvement #MeToo.
Le coût de cette campagne de prévention par les pairs ? Zéro franc …
Ce qui m’amène au point suivant.
Comment expliquer l’absence des organismes de prévention santé sur les réseaux sociaux?
Bien que l’ère des réseaux sociaux ait commencé il y a 16 ans avec Facebook en 2004, il semblerait qu’une grande majorité des institutions s’occupant de la prévention en santé mentale et physique se refusent encore à réellement investir cette sphère.
Soit elles sont totalement absentes des diverses plateformes, soit n’y ont qu’une présence symbolique, créant une page Facebook et ne l’alimentant que rarement.
A l’inverse, les budgets de prévention restent encore en majorité alloués à des actions de terrain avec de la présence dans des milieux festifs, à des stands d’information, etc., ou en utilisant des affichages publicitaires traditionnels.
Bien que ces actions aient leur utilité et leur pertinence, voici leurs grands défauts:
- Elles ne permettent aucun ciblage précis de la population.
- Ne permettent aucun retour sur les résultats obtenus en terme de diffusion de message et d’interaction.
En d’autres termes: on avance à l’aveugle en fonction de ce que le chef de projet pense être bien de faire, sans réellement de réflexion sur l’impact des campagnes…
Ma vision de la communication à l’ère du digital
Dans ce dernier paragraphe, je partagerai ma vision de comment utiliser les réseaux sociaux et les nouveaux modes de communication pour diffuser les messages de prévention en santé mentale et physique.
Les mesures à prendre pour une prévention moderne:
- Stopper la publicité traditionnelle: la publicité dans les journaux ou sur les panneaux d’affichage appartient à un autre temps. Leur coût est démentiel (consultez ce site pour vous faire une idée des tarifs) et ne permet aucune analyse de leurs résultats. Pour une fraction de leur prix, des publicités sur les réseaux sociaux pourraient tourner pendant des mois en ciblant précisément leur public cible et en ayant un retour précis sur leurs performances.
- Investir dans la création de contenu: les algorithmes des réseaux sociaux favorisent les comptes proposant un contenu pertinent et régulier. Ils nécessitent d’être alimentés sur une base quotidienne et à de multiples reprises, en connaissant précisément les codes de communication de chaque réseau. L’avenir de la prévention se joue selon moi dans l’engagement de spécialistes en création de contenu étant entièrement dédié à cela. Ces tâches ne doivent donc pas être considérées comme des « nice to have » que le chef de projet publie lorsqu’il en a le temps.
- Miser sur la prévention par les pairs: et ce point-ci concerne plus particulièrement les acteurs de la prévention auprès des jeunes. Comme explicité plus haut, les « mouvements » devenus « viraux » partent généralement du public qui s’approprie un message et le diffuse à sa manière. Cela renverse ainsi le paradigme de la prévention d’experts vers un « public cible » en permettant aux personnes ciblées de communiquer selon leurs propres codes. L’utilisation des phénomènes de « challenges » sur TikTok serait par exemple un moyen à investir par les chefs de projets en prévention afin d’initier des « mouvement viraux ».
Un début de renouveau
C’est néanmoins avec grand plaisir que je constate des changements de paradigme et l’utilisation avec brio de ces canaux de communication.
En Suisse, la RTS expérimente par exemple de plus en plus ces nouveaux formats au travers de ses programmes « Tataki« ou « 120 Minutes » utilisant l’humour, des partenariats avec des « influenceurs » ainsi que de nouveaux formats pour aborder des sujets de société et de prévention concernant la drogue, la sexualité, les addictions, etc.
C’était par exemple le cas avec leur parodie de la chanson « Llorona » pour parler du Coronavirus.
Au Vietnam, une chanson expliquant les gestes de prévention contre le coronavirus a également été reprise et diffusée de manière virale, propageant le message au plus grand nombre.
Conclusion
Le milieu de la prévention étant financé la plupart du temps par des fonds publiques, il se doit de répondre au mieux à la « demande » des publics cibles en utilisant les moyens les plus efficaces pour diffuser leurs messages. Alors que l’impact d’une campagne de prévention sur les changements comportementaux d’une population reste difficile à évaluer, nous avons aujourd’hui les moyens d’analyser précisément la portée des messages de prévention grâce aux nouvelles technologies et il est nécessaire de les utiliser.
Julien Borloz | Psychologue FSP | Hypnose | Coaching à Lausanne, Chailly.
Pour en savoir plus sur moi, suivez ce lien.





































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Partage en lien avec votre article et un « fait divers » irlandais de 2018 (#thisisnotconsent). Des femmes indignées par l’acquittement d’un violeur, ont accepté de me prêter un string, ce petit bout de tissu, symbole de culpabilité supposé, que je dessine épinglé ?
A découvrir la série toujours en cours de réalisation : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html
Cette série a été présentée à des lycéens à de nombreuses fois , quand l’art contemporain ouvre le débat…
Merci beaucoup !